[Entretien Aurélien Gauffrenet - Bean2me] La plupart de nos clients ont adhéré à notre philosophie avant même d’avoir goûté notre café

[Entretien Aurélien Gauffrenet - Bean2me] La plupart de nos clients ont adhéré à notre philosophie avant même d’avoir goûté notre café

La jeune entreprise Bean2me est un cas d’école d’économie de fonctionnalité : dans 95% des cas, elle loue ses machines à café à ses clients (plutôt que de les vendre), avec entretien gratuit, afin de répondre au mieux à leurs besoins. Elle privilégie également les circuits courts et l’économie circulaire. Entretien avec Aurélien Gauffrenet, l’un des trois associés.

La société basée à Chêne-Bourg cherche à être durable sur l’ensemble de sa chaîne de valeur : achat de café auprès de petits producteurs, panneaux solaires faisant fonctionner l’intégralité de son atelier de torréfaction (à Bienne), déplacements chez les clients en mobilité douce ou en véhicules électriques, valorisation du marc de café ou encore réflexions continues pour s’améliorer.

Créée en 2017 par trois amis d’enfance, Bean2me compte aujourd’hui quelque 200 clients, dont plusieurs grandes sociétés. Elle torréfie son café au feu de bois et emploie 4 collaborateurs salariés, dont l’un des fondateurs, sans compter le travail des deux autres associés qui y consacrent la majorité de leur temps libre.

-Comment vous est venue l’idée de vous lancer dans le café en entreprise, un domaine caractérisé par une grande concurrence?

- A.G. C’est vrai qu’il y a de la concurrence, mais nous sentions qu’il y avait de la place pour un autre type de consommation. Nous sommes trois associés venant de secteurs différents mais complémentaires. Nous nous étions rendu compte que la pause-café en entreprise est certes un moment très apprécié des collaborateurs, mais est une hérésie environnementale lorsqu’elle se concrétise par du café en capsules. En plus, ces dernières se reposent sur un café totalement standardisé, alors que de très nombreux acteurs artisanaux émergent en Suisse, à l’image de la bière il y a une quinzaine d’années. C’est sur la base de ces constats que nous avons décidé de créer une société qui vend des solutions de café en entreprise, en mettant à disposition tous les services associés autour de la pause-café et adaptés à la taille ainsi qu’aux besoins de nos clients, en simplifiant leurs contraintes logistiques (réapprovisionnement automatique, mise en service et programmation des entretiens), en offrant des produits de qualité et en étant le plus écologique possible.

-Quel est votre modèle d’affaires ?

- A.G Nous avons trois modèles d’affaires afin de nous adapter à la demande du client. Le premier axe consiste en une location de machines en fonction de ses besoins et des options qu’il souhaite, à quoi s’ajoute la livraison des consommables. C’est actuellement le modèle qui génère le plus de chiffre d’affaires et c’est aussi notre fonctionnement historique : notre première cible était les entreprises de 15 à 40 collaborateurs et c’est en général la solution qu’elles préfèrent.

Deuxième axe : la facturation à la consommation. Dans ce cas, nous déterminons en fonction du volume annuel et des desiderata du client (nombre et type de machines, nombre de passage sur le site, etc.) un « prix au café » qui inclut tous les services, y compris une personne dédiée au client qui s’occupe de tous les aspects de sa pause-café : suivis des consommations, entretien de la machine au quotidien, gestion des stocks, etc. Cela décharge complètement le client et lui offre très précisément ce dont il a besoin. Comme notre philosophie commence à être connue, nous constatons une vraie tendance à la hausse pour ce modèle. Ce sont souvent les moyennes et grandes structures qui optent pour ce dernier, qui fonctionne aussi bien lorsque l’employeur prend en charge l’intégralité du coût de la pause-café que si ce sont les collaborateurs qui paient directement leur café (système de paiement intégré à la machine).

Enfin, nous vendons aussi des machines, car certaines entreprises désirent encore posséder leur propre matériel. Mais c’est un pourcentage très faible, quelque 5% de notre chiffre d’affaires.

-L’un des freins à l’économie de fonctionnalité tient au fait qu’elle exige un investissement initial important pour l’entreprise qui adopte ce modèle d’affaires. Cette dernière doit en effet d’abord acheter les machines afin de pouvoir ensuite les louer et récupérer progressivement ses débours. Comment avez-vous géré cet inconvénient ?

- C’est une vraie difficulté, car à chaque développement commercial, nous devions acheter de nouvelles machines. Nous ne pouvions donc pas grandir trop vite. Le chemin est long et il faut avoir les reins assez solides au départ, car avant de pouvoir recourir à des emprunts bancaires, il faut présenter les bilans de deux ou trois années, avoir si possible atteint l’équilibre financier et montrer que les actionnaires ont investi dans la société. Nous avons ainsi sorti un montant de notre poche qui va bien au-delà de celui qu’on mettrait pour créer une SA, et avons la chance depuis peu d’être suivis par une banque, par le biais de la FAE (ndlr : Fondation d’Aide aux entreprises) que nous remercions pour leur support et expertise.

-Est-ce que votre modèle d’affaires a attiré de nouveaux clients ?

Oui, clairement : la plupart de nos clients ont adhéré à notre philosophie avant même d’avoir goûté notre café ! Plus de 80% d’entre eux avaient auparavant du café en capsules.

-Quels conseils donneriez-vous à d’autres entreprises qui voudraient aussi recourir à un modèle d’affaires basé sur la fonctionnalité ?

-Nous avons créé notre société il y a à peine trois ans, ce qui ne nous autorise pas à donner trop de conseils. Je dirais toutefois qu’il faut être à l’écoute du marché ainsi que de ses clients et suivre l’évolution du monde dans lequel on vit, c’est encore plus important que la concurrence. Ces considérations nous ont amené à modifier certains de nos services.

-Qu’avez-vous ainsi fait évoluer ?

-Comme nous livrions nos produits à vélo ou en véhicule électrique, que notre atelier de torréfaction fonctionne à 100% à l’énergie solaire et que nous avions un modèle d’affaires basé sur l’économie de fonctionnalité, nous nous trouvions déjà passablement durables. Mais nous avons réalisé, souvent en discutant avec nos clients, que nous pouvions aller plus loin en récupérant le marc de café chez nos clients, en fournissant du sucre brut au lieu du sucre raffiné et en donnant encore plus de renseignements sur la provenance du café. Nous avons également décidé de fournir du thé, car certaines personnes n’aiment pas le café.

-Récupérez-vous beaucoup de marc de café ? Et qu’en faites-vous ?

Nous le récupérons chez la quasi-totalité de nos clients. Notre partenaire Transvoirie en assure le transport, puis le marc est valorisé dans une centrale genevoise de biométhanisation (Biogaz Mandement) qui le transforme en énergie. Quant à la matière sèche restant au terme du processus, elle devient un engrais naturel.

-Vous avez parlé de sucre. Fournissez-vous aussi les tasses et les bâtonnets ? Et si oui, en quelle matière ?

-Nous recommandons en priorité les tasses en porcelaine. Toutefois, si certains clients nous demandent des tasses jetables, nous en fournissons en carton recyclable. Idem pour les batônnets : nous ne les proposons pas de manière pro-active, car estimons illogique que l’on nous choisisse pour des raisons écologiques et que l’on nous demande ensuite des bâtonnets jetables, alors que l’on peut utiliser une cuillère qui peut être ensuite lavée et réutilisée. Mais si un client en désire vraiment, nous lui en fournissons en matière recyclable (bois).

-Recourez-vous également aux circuits courts ?

- Oui, autant que nous le pouvons. Plusieurs machines que nous proposons sont fabriquées dans notre pays : pour nous c’est très important d’avoir des fournisseurs suisses pour faire travailler notre économie et limiter notre empreinte environnementale, d’autant que les marques helvétiques (telles Jura ou Schaerer) dans le monde du café fournissent des produits de qualité.

Quant au café, il provient certes de loin, mais l’approvisionnement a beaucoup évolué, ce qui permet de diminuer le nombre d’intermédiaires et d’avoir un bien meilleur traçage du produit. Ainsi, en Ethiopie, il fallait auparavant passer par la bourse qui récupérait tout le café pour ensuite le revendre. Aujourd’hui, on peut traiter directement avec les producteurs ou avec les coopératives, ce qui nous permet de savoir exactement d’où vient le café et souvent de rencontrer directement les producteurs. En outre, ces derniers mettent toujours plus fréquemment en place des programmes d’aides en matière sociale et environnementale afin d’améliorer la vie de la région. Lorsque du café vert est acheté, une partie du bénéfice est versé à ces programmes. Cela nous aide à choisir les producteurs : nous regardons la qualité de leur café et celle de leur programme.

Vous vous déplacez chez vos clients à vélo ou en véhicule électrique, vous torréfiez au feu de bois, votre bâtiment fonctionne à 100% à l’énergie solaire. Est-ce que votre entreprise est autonome en termes énergétiques et neutre en carbone ?

- N’ayant pas sollicité des programmes permettant de calculer notre empreinte carbone, nous ne pouvons pas affirmer avec certitude la neutralité de nos activités locales. Quant au transport de café, il se fait par bateau, ce qui n’est pas neutre en CO2.

Par ailleurs, si nous devons nous déplacer au-delà de Lausanne, nous n’excluons pas l’utilisation d’un véhicule thermique. Nous suivons toutefois les évolutions technologiques qui nous permettraient d’utiliser l’électrique ou tout autre déplacement écologique, sans nous soucier de l’autonomie et à des coûts raisonnables. Le développement durable faisant partie de notre philosophie, nous envisageons naturellement de nous rapprocher d’organismes tels que myclimate pour compenser nos émissions.

-Pensez-vous à d’autres mesures ?

-Nous essayons de faire au mieux et de nous améliorer chaque fois que nous le pouvons. Dès l’année prochaine, nous allons emballer notre café dans des sachets biodégradables. Et pour carrément éviter les sachets, nous nous dirigeons aussi vers une solution de boîtes de 15 à 20 litres que nous remplirions et récupérerions, sur la suggestion d’ailleurs de l’un de nos clients. Même quand on pense être vertueux, il y a toujours de petites choses à améliorer !

 

Pour en savoir plus sur Bean2me veuillez suivre ce lien

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l'équipe Genie.ch (publication le 21.09.20)

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